L’une des plus grandes méprises à propos des mathématiques, que nous perpétuons dans nos salles de classe, c’est que le professeur semble connaître la réponse de tous les problèmes qui sont traités. Cela donne l’impression à l’élève qu’il y a quelque part un livre contenant toutes les réponses des questions intéressantes, et que les professeurs connaissent ces réponses. Et que si nous pouvions mettre la main sur ce livre, tout serait réglé. C’est tellement contraire à la vraie nature des mathématiques.
Léon Henkin
Lorsque j’étais en Terminale, mon prof de maths a posé la « question défi » suivante à la classe :
❔ Par combien de zéros finit ? Le nombre signifie et se prononce « factorielle 1000 ».
Toujours très enthousiaste à l’idée de résoudre ce genre de défis, je me souviens avoir passé un certain temps chez moi à combattre ce problème. Finalement, j’ai trouvé une solution et je l’ai expliquée fièrement aux intéressés. Puis un an plus tard, en étant en classes préparatoires, je suis retombé sur cet énoncé dans un bouquin d’exercices. J’ai alors consulté la solution, curieux de voir leur méthode, et j’ai été très déçu du fait que c’était en fait ce que j’avais fait mais expliqué avec du vocabulaire avancé rendant le tout assez indigeste.
Avant de traiter cette question, le bouquin demandait dans un premier temps de montrer la formule de Legendre.
❔ Soit un nombre premier et un entier naturel. On note la valuation p-adique de , c’est-à-dire la plus grande puissance tel que divise . Montrer la formule de Legendre :
Sachez qu’il n’y avait pas besoin d’avoir vu avant la valuation p-adique, on la découvrait dans cet exercice. Suite à cette première question, on demandait alors d’en déduire le nombre de zéros dans . Je vous écris ici la solution telle que dans le bouquin :
Oui, exceptionnellement je vous invite ici à lire une solution avant de solliciter votre réflexion ! (vous pouvez évidemment réfléchir avant comme d’habitude si vous préférez)
Il suffit de calculer la plus grande puissance de tel que . Comme on a . Par la formule de Legendre, on trouve donc
Et
Ainsi se termine par zéros.
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En fait, selon moi, cette solution est claire seulement si vous avez bien réfléchi à la question avant et que vous avez trouvé la réponse… Ce n’est pas forcément une mauvaise chose étant donné qu’on apprend toujours beaucoup plus par soi-même qu’en lisant un corrigé, aussi bien écrit soit-il. C’est ce que j’aimerais d’ailleurs vous montrer ici. Pourquoi ai-je appris beaucoup plus de choses en réfléchissant en Terminale à cette question par moi-même plutôt que ceux consultant cette solution en prépa ?
Alors on est parti, je me remets dans ma peau d’élève de Terminale et je vous explique mon raisonnement.
✏️ A vous de jouer ! Si comme moi vous voulez mieux comprendre, oubliez la solution du bouquin que vous venez de lire (le mieux étant de n’y avoir rien compris) et réfléchissez par vous-mêmes au problème !
Étape 1 : Comprendre la question
La première chose naturelle à se dire c’est : qu’est-ce que c’est que cette question ?! Je ne parle pas de son intérêt (en maths ce n’est pas ça l’important) mais plutôt du fait que pour connaître le nombre de zéros par lequel finit un nombre il suffit de le calculer et d’écrire son résultat.
Par exemple, si on nous demandait le nombre de zéros de . On calculerait alors le résultat
et on en déduirait que cela termine par un zéro. Dans notre problème, il suffit donc a priori de calculer . Mais c’est très long de taper cela à la calculatrice et on sent que le résultat va être grand, sans doute trop grand pour notre calculette. On peut essayer avec l’ordinateur pour ceux qui savent programmer (c’est d’ailleurs un exercice de programmation classique d’écrire un programme permettant de calculer ) mais en le faisant on se rend compte que même pour notre ordinateur le nombre est trop grand… Il faut donc se résoudre au fait qu’on ne pourra pas calculer le résultat…
Heureusement la question ne nous demande pas le résultat. Elle nous demande juste de trouver le nombre de zéros par lequel ce résultat termine. Comment pouvons-nous trouver cela ?
Étape 2 : Simplifier la question
Le nombre est très grand, on peut se demander ce qui se passe pour en général avec notamment des petites valeurs de . Calculons donc ces premières valeurs :
Avec ces premières valeurs, on se rend compte qu’il y a un zéro qui s’ajoute à la fin à et . Autrement dit il semble qu’à tous les multiples de on ait un zéro qui s’ajoute. On a donc la conjecture suivante :
Conjecture : Le nombre pour entier finit par zéros.
Pour montrer ce genre de propriété valable pour tout entier , on aime bien raisonner par récurrence. Pour , on note la propriété « Le nombre finit par zéros. ».
Initialisation : Pour , on a qui finit bien par zéro.
Hérédité : Soit tel que soit vraie. Essayons alors de montrer que est vraie. Pour cela, il faut réussir à lier et . On a
On sait, par hypothèse de récurrence, que finit par zéros. Pourquoi le fait de multiplier ce nombre par rajouterait-il un zéro ? Mmm… Quand est-ce que multiplier un nombre par quelque chose lui rajoute un zéro ? Ah oui c’est quand on fait une multiplication par . Mais y-a-t-il un qui apparaît ici ? Et attendez, si je fais une multiplication par il y a deux zéros qui se rajoutent ! Et par il y a zéros. Donc typiquement le passage de à doit forcément rajouter zéros. Notre conjecture est fausse !!!
Étape 3 : Les échecs aident à comprendre
Bon retour au point de départ… Pas complètement car, malgré notre mauvaise conjecture, on s’est rappelé que multiplier un nombre par lui rajoute zéros. Pourquoi d’ailleurs ? En fait, cela est spécifique à la façon dont on écrit les nombres, en base . Par exemple, lorsque j’écris le nombre cela signifie :
Du coup, un nombre finit par un zéro si et seulement si le chiffre qui est devant le est un . Mais on peut alors le factoriser par . Par exemple on a
Plus généralement, un nombre finit par zéros si et seulement si tous les chiffres devant sont des et il est alors factorisable par . S’il finit par exactement zéros, cela signifie que le chiffre devant n’est par contre pas nul. Autrement dit, est la plus grande puissance de qui divise un nombre finissant exactement par zéros.
Pour revenir à notre problème en particulier, on cherche donc le plus grand nombre tel que divise .
Étape 4 : Finir le travail
Pour être sûr d’avoir bien compris, on peut revenir au tableau d’exemple qu’on avait fait.
On obtient un premier zéro pour mais où est le ici ? En fait si? il apparait bien car . Donc
Être divisible par c’est être divisible par et par . C’est mieux de penser comme cela car et sont des nombres premiers, or un fameux théorème nous dit que tout nombre peut s’écrire de façon unique comme un produit de nombre premiers. Donc peut s’écrire comme un produit de nombre premiers et dans ce produit il y aura à une certaine puissance, disons , et à une certaine puissance, disons . On peut remarquer qu’il y a plus de qui vont apparaître dans donc on aura . Le nombre maximal tel que divise sera donc . Il nous suffit maintenant de déterminer ce .
Quand est-ce qu’un apparaît ? Tous les multiples de , comme on avait déjà remarqué. Mais l’erreur qu’on avait faite c’est que à on a un qui apparait donc on a en fait zéros qui sont ajoutés. On aura deux zéros ajoutés à chaque multiple de . Puis pour les multiples de on aura zéros ajoutés. Et zéros pour les multiples de . Ensuite donc on n’en rencontrera pas.
Faisons un petit tableau récapitulatif :
On peut compter un zéro pour chaque multiple de auquel on ajoute un zéro pour chaque multiple de puis un zéro pour chaque multiple de et enfin encore un zéro pour chaque multiple de . Combien y-a-t-il de multiples de jusqu’à ?
Ce sont tous les nombres de la forme tels que . peut donc varier de à , il y a donc multiples de en dessous de .
Pour compter les multiples de jusqu’à , on procède de la même manière. Ce sont les nombres de la forme avec . Cette inégalité est vérifiée pour les compris entre et . Il y a donc multiples de en dessous de .
De même, les multiples de sont les nombres de la forme avec . Cette inégalité est vérifiée pour les compris entre et . Il y a donc multiples de en dessous de .
Enfin, il n’y a qu’un seul multiple de en dessous de . Finalement on en déduit donc que le nombre se termine par
On peut être fiers de nous ! 😀
Conclusion
Qu’avons nous appris de plus en réfléchissant par nous-mêmes ?
Déjà on met le point sur ce qui n’est pas évident pour nous personnellement. Cela peut être par exemple ici l’écriture décimale d’un nombre, le raisonnement par récurrence, notre capacité à écrire un programme pour calculer des factorielles, le décompte du nombre de zéros, etc. Vous avez peut être trouvé que j’allais parfois trop lentement ou parfois trop vite dans ce raisonnement ? C’est normal, c’est un raisonnement personnel et donc je passe du temps sur ce qui a paru difficile pour moi et je passe moins de temps sur ce qui m’a paru simple. Mais cela peut être différent pour vous d’où la nécessite de réfléchir par soi-même !
A noter qu’on voit aussi qu’il arrive d’emprunter un mauvais chemin. La conjecture de départ qu’on a faite est pourtant plausible mais parfois les premiers exemples ne sont pas de bons indicateurs ! C’est donc important d’être rigoureux.
Pour aller plus loin
Vous pouvez revenir sur la solution du bouquin et sans doute mieux la comprendre maintenant. Vous pouvez aussi démontrer la formule de Legendre qui, de façon plus générale, est un moyen plus rapide de calculer le nombre de zéros pour n’importe quelle factorielle. En fait, c’est une façon concise de faire ce qu’on a fait, c’est souvent comme cela en maths. La première fois on bricole comme on peut, puis quand on a du recul, on généralise et on essaye d’aller au plus court 🙂
Notons aussi que notre réponse provient du fait qu’on écrive les nombres en base . Néanmoins on peut tout à fait étendre notre raisonnement à n’importe quelle base, à vous de voir ce qu’il faut adapter !