Un enseignement qui n’enseigne pas à se poser des questions est mauvais.
Paul Valéry
Cet article est fortement inspiré des conseils donnés par le mathématicien Terence Tao sur son blog.
Quand on me demande comment progresser en mathématiques, la première chose qui me vient à l’esprit c’est de développer sa capacité à poser des questions. En effet, pour bien comprendre un sujet, il est essentiel de s’interroger : puis-je trouver un exemple ? Que se passe-t-il si j’enlève cette hypothèse ? Est-ce intuitivement clair ? Comment peut-on prouver cela ? Comment quelqu’un a pu penser à cette preuve ? Si on renforce les hypothèses est-ce plus évident ?
Je donne ici des exemples de questions très générales, mais le plus important est de se poser ses propres questions, aussi stupides qu’elles aient l’air. Puis il faut essayer d’y répondre, parfois sans succès, dans quel cas on peut la garder dans un coin de notre tête pour y réfléchir plus tard ou pour la poser à un professeur par exemple.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans les livres et les cours, on présente de façon intelligente et élégante les résultats mathématiques. Or, les personnes qui ont trouvé ces résultats ont rencontré beaucoup de difficulté ; elles n’ont pas emprunté le chemin le plus immédiat, elles se sont mêmes trompées de chemin et se sont dits « C’est complètement stupide ce que j’ai fait ». J’essaye d’ailleurs dans ce blog de mettre davantage l’accent sur la réflexion et sur ces parcours un peu sinueux qu’on peut explorer avant d’arriver au résultat.
Il est bon de donner un exemple plus concret en prenant un problème simple et en indiquant des exemples de questions. La question suivante a été posée dans les commentaires du blog de Terence Tao (un grand mathématicien actuel, photo ci-dessous) :
Bonjour professeur,
Pouvez-vous donner des exemples détaillés de questions stupides qu’on peut se poser sur un problème simple ? Par exemple la somme .
Un lecteur du blog
La réponse de Tao est très intéressante et je la traduis du mieux que je peux ici :
Bon, le point clé est que c’est vous qui devez trouver les questions. Cela ne marche pas aussi bien si quelqu’un d’autre vous les fournit.
Ceci étant dit, il y a plein de questions qu’on peut se poser autour de ce classique exercice . Voici des exemples. Est-ce que la formule peut être étendu au cas où ? où est négatif ? où est réel ? complexe ? Quelle est la relation entre la somme et l’intégrale ? Que peut-on dire à propos de la somme plus générale (avec entier, réel, complexe, etc) ? Par exemple, est-ce toujours polynomiale en ? Y-a-t-il un moyen de donner une valeur utile à la somme infinie ? Le résultat ressemble à un coefficient binomial, peut-on trouver une généralisation de cette identité qui met en valeur ce point de vue ? Y-a-t-il une preuve combinatoire de ce résultat ? Une preuve géométrique ? Est-ce que cela s’étend à des dimensions plus élevées ? Que se passe-t-il si on remplace par une autre progression arithmétique ? Et si on remplace l’addition par la multiplication ? Et si on se place dans un autre groupe ou anneau ? La preuve usuelle se sert du principe de récurrence, que se passe-t-il si on enlève ce principe ? etc.
Notez que plusieurs de ces questions sont vagues et ouvertes, et donc assez différentes de ce que l’on trouve dans les cahiers d’exercices. Contrairement aux exercices classiques, l’important ici n’est pas d’apporter une réponse définitive mais plutôt d’entraîner votre cerveau à réfléchir, à développer ce type d’état d’esprit nécessaire aux mathématiciens. A noter aussi que dans beaucoup de cas les réponses sont inintéressantes mais c’est le procédé d’arriver à la réponse qui se trouve être très instructif.
Terence Tao
Évidemment Terence Tao dispose déjà de cet esprit habitué à se poser des questions et il a aussi un niveau de connaissances élevé donc ne vous dîtes surtout pas « Comment autant de questions lui viennent ? » ou « Elle sont déjà intelligentes ses questions… ». Encore une fois, comme il le souligne lui-même, l’important c’est de vous poser vos questions. Il n’y en aura sans doute pas autant au début et elles seront d’apparence beaucoup plus stupides. Mais c’est tout à fait normal. L’important est de démarrer cet état d’esprit et si vous le faîtes vous sentirez à coup sûr de grands progrès.
Ce n’est pas facile et ça prend du temps, mais quitte à être répétitif, je répète que c’est la meilleure façon de progresser.